Garçon, de quoi écrire

Mémoires

Posted in Le monde est plat by frichtre on 25 février 2010

« Quatre heures du matin.

Station Palais royal, ou peut-être Tuileries. Je ne sais plus. Ce dont je me souviens, c’est d’entendre claquer cette porte. La mienne ? Mes souvenirs sont vagues et mon esprit divague. Une dispute. Que s’est-il réellement passé ? Je lève les yeux, vois la pyramide. Palais royal, j’avais raison. Mes pas ne me semblent pas lourds, je marche aisément, mais je tourne en vain les mirettes afin de palper quelques souvenirs.

« Mes yeux piquent et je les ferme avec insistance comme pour éviter que le soleil ne me les brûle. Réveille-toi ! Il fait nuit.

« Pourquoi m’a-t-elle fait ça ? Ce  qui a claqué, c’est l’écho de ses pleurs. Elle sanglotait à peine, et ses larmes cristallines coinçaient au-dessus de ses pommettes. D’habitude, ce sont mes baisers qui s’y attardent. Mais ce soir, elle avait fait la connerie de trop sans doute. Mais ce trop ne me revenait pas en mémoire. Tout s’assombrissait alors que Paris a toujours été une ville illuminée.

« Je ne quitterai pas le Carrousel avant de tout comprendre. Tout s’est arrêté en une fraction de secondes lorsque je me suis laissé imaginer que je ne la saisissais peut-être pas.

« Mais c’est elle qui ne me saisit pas.

« Cette situation reflète bien mon état. Un peu outrancier avec ceux qui ne me cernent pas, et mélancolique avec les personnes qui semblent savoir me prendre. Ou est-ce moi qui donne tant d’importance à cette fille pour éviter de me révéler trop brutalement ? Trop de temps vient de s’écouler pour lui montrer ce que je suis. Amer est mon comportement. Il passe bien déguisé et accompagné de brides et de comédies. Mais quand il s’exprime seul, il faut alors savoir le contenir.

« C’est un peu comme l’huile d’olive. Je déteste cette huile. Mais elle s’assaisonne délicieusement. Je n’irais pas jusqu’à dire que l’on me déteste tel que je suis. Cependant, il n’est pas aisé de me saisir. Alors tout de suite les discussions prennent un ton plus sectaire.

« Voilà, il me prend encore à penser et à parler de moi !

« Quand est-ce que cette introspection cessera? Même dans cette condition, je ne fais pas l’effort de la considérer. Quand penserais-je à l’aimer ? Quand la démesure du mien cessera ?

« Rapidement je reprends mes esprits. Je remarque que les rues se mettent à rougir. Déjà ? C’est le reproche que je fais à l’été. Ne jamais nous laisser le temps de digérer la veille.

« Il faut bien que je me lève et regagne l’appartement. Elle doit sûrement dormir à cette heure-ci. J’irais me coucher dans la chambre d’ami sans oublier avant de me doucher et de lui préparer son petit-déjeuner.

« Elle part ce matin très tôt à Lyon pour le week-end. Des amis l’ont invitée. Ça lui fera certainement du bien. Je saurai à mon réveil si elle souhaite que je l’accompagne comme ce qui était prévu. Mais j’en doute. D’ailleurs, le mieux pour nous, est d’avoir ce répit qui ne sera pas de refus, et qui s’inscrira dans une tendance plus que négative depuis quelque temps.

« Sans confiance, j’enfonce la clé dans cette serrure qui, pour la première fois, semble ne pas vouloir m’accepter. Je n’y arrive pas. Elle ne cesse pas de taper contre la porte. La lumière du hall est éteinte et moi aussi. Je ne suis pas plus avancé qu’un aveugle ou qu’un type ayant pris sa cuite. Alors d’une main, je tâte l’orifice voulant bien loger ce qui pend au bout de mes doigts. Puis indélicatement, j’essaie d’ouvrir cette porte qui, quelques instants plus tôt, me refusait violemment.

« J’avais bien pris le soin de me déchausser avant d’entrer. C’est en chaussette que j’avance doucement caressant le sol. Je ne veux pas entendre le talon taper contre le parquet. C’est comme si je me présentais brutalement aux rêves de Chloé. Mais comme elle le fait avec moi, elle continuera de se blottir dans ce qui, rarement, lui inspire.

« Je traverse alors le couloir qui, à ce moment précis, me parait extrêmement long. Quand on se crispe tout prend de l’ampleur, ou au contraire s’amenuise. Les extrêmes se font de la place. Alors je compte les pas entre le seuil de l’appartement et celui du salon. Je vérifierais bien un jour, qu’effectivement, le couloir ne s’est pas allongé par je ne sais quelle magie. Seulement si par malheur je me souviens de cette nuit.

« C’est vraiment drôle, l’alcool fait tanguer notre environnement, nous accable de soixante années grâce à peu de verres, mais la canne ne nous vient pas à l’esprit. Ces soixante années d’apprentissages et d’expériences nous amènent donc à penser que lorsque l’on ne tient plus sur ses jambes, il est préférable d’avoir une canne. Alors, que tous ceux qui, désorientés par ce liquide essentiel, un soir de gorges déployées, pensent à troquer, non pas leur rire, mais ce qu’ils peuvent contre l’objet en question.

« Mais l’alcool change aussi les attitudes. Et j’aime le changement. Mais celui qui a lieu au sein d’une pièce. La voir vivre. Penser que les meubles ne sont pas que des accessoires ayant une fonction bien précise. Même si au-delà de ce qu’ils sont censés nous permettre de faire, l’imagination, lors de diverses situations, multiplie les fonctions de ces occupants peu mobiles.

« C’est donc le mouvement qui anime le salon ainsi que les autres pièces de l’appartement. On ne peut y apprendre à se déplacer sans risque dans le noir. On ne peut s’y déplacer sans apprendre la dernière configuration que Chloé et moi avons imaginée. C’est dans ce nouvel univers que je tente de faire mon entrée. J’arrive près du salon. M’arrête en face. Dépose mes chaussures et rabat mes paupières. Je me plonge pleinement dans le dernier souvenir accueillant le sourire de Chloé. Un sourire qui ressemble étrangement à celui que l’on tire quand on voit un enfant faire une bêtise. Il est sincère. On lui dit que ce n’est pas grave. Mais il s’en veut tout de même, ça se sent. Chloé me sourit de la même manière. Je suis son grand enfant. Elle sait que je ne fais rien de mal, et que la plupart du temps, je ne suis pas conscient. Mais conscient de quoi ? De mes actes ? Se doute-t-elle ? Elle continue de me sourire et son regard appuie mon inconscience. Je ne sais pas ce qu’elle pense de moi. J’ai terriblement peur de lui demander. Mais pourquoi serait-elle avec moi ?

« Je doute toujours des réponses qu’elle pourrait m’apporter. Alors je préfère ne pas prendre le risque d’écouter ce qui me blesserait, que de me féliciter des tendresses qu’elle exprimerait pour moi.

« Malheureusement, elle a dû enfin extirper une partie d’elle-même. Partie dont à l’origine, je suis le seul à pouvoir la libérer. Je me suis terriblement déçu de ne pouvoir me rappeler ces intenses moments avant de me perdre sur à quelques mètres de la seine.

« Je n’étais pas sur de mon coup apparemment.

« Je redécouvre mes pupilles après ces quelques secondes de rêveries. Elles n’ont jamais été aussi grandes. Énorme même. J’ai l’impression de les sentir prendre du volume en même temps que me souvenirs deviennent les seuls locataires de mon esprit. Ma vue s’habitue à l’obscurité.

« J’avance vers le canapé. Je sais qu’il est tout près. Alors je me dirige sans trop savoir si finalement ma vie a changé quelque chose durant cette journée d’absence. C’est ce qui l’amuse. Elle profite que je ne sois pas là pour accomplir son petit plaisir récurrent à chaque nouveau changement. C’est-à-dire mettre à sa convenance ce qui ne me plaisait pas. Il faut dire que c’est moi qui l’ai encouragée la première fois à se prêter à ce jeu. Elle n’était pourtant pas motivée. Elle disait que ça lui plaisait comme c’était, qu’elle ne voyait pas l’intérêt de mettre le lit à la place de l’armoire, le canapé au centre du salon, et dans cette même pièce, la télévision entre les deux entrées. Elle ajoutait même, en retroussant son petit nez, que tout ce remue-ménage angoisserait les poissons. Elle aurait pu inventer n’importe quoi pour que rien ne change.

« Bien qu’elle fut réticente désormais je la laisse seule se prêter à ce divertissement. Je l’aide à soulever les gros meubles, place quelques critiques et lui propose mes idées. Elle acquiesce en boudant timidement, et je lis dans son regard que de toute façon, j’ai beau proposer, c’est elle qui en dispose tout le temps. Elle n’en fait qu’à sa tête. »

4 Réponses

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  1. Brice Duan said, on 25 février 2010 at 12:20

    Ce n’est plus un article, mais un scénario ^^.

    • frichtre said, on 25 février 2010 at 12:34

      pourquoi pas ! c’est une idée à laquelle il faudrait songer 😉 bienvenue en tout cas !

  2. Izzie said, on 26 février 2010 at 12:00

    C’est marrant cette espèce d’infantilisation que peut provoquer une dispute. Et quoi qu’il en dise je pense qu’elle fait ce que lui désire. Mais c’est une interprétation féminine! 😉
    Petite question : il a erré toute la journée et toute la nuit dans une faille spacio-temporelle?

    • Frichtre said, on 26 février 2010 at 3:01

      c’est lui la faille toute entière je crois 😉


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